Carnet 5 – Août / Décembre 1915

Cinquième livre : 1915  suite

Campagne 1914-1915, Gabriel Bouffies

6e groupe cycliste, 6e division de cavalerie.

Nous allons après l’attaque du 24 juillet au repos à St Dié.

Je pars en permission le 30, je suis transporté en auto jusqu’à Saint-Michel sur Meurthe où je prends le train vers 11h du soir. Je passe par Épinal, Gray, changement de ligne à Troyes, Melun, Paris, changement à Orléans, Châteauroux, Vierzon, Limoges, Brive, Cahors, Montauban où je débarque.

Dimanche 1er août :

Je me rends chez moi où je passe 8 jours tranquilles.  

Je repars le 9 août au soir.

Je prends la même ligne jusqu’à Vierzon. A Bourges, on change de ligne jusqu’à Saint-Jean de Losne. Là, on a 5 heures d’arrêt, on va bien dîner en ville  puis on repart pour Gray. Il n’y a de train pour Saint-Michel que le lendemain. On sort en ville, on y mange, on se couche et on repart le lendemain 10h. On arrive à Saint-Michel vers minuit ou je débarque. Je rentre à Saint-Dié, tout le groupe est parti à La Fontenelle me dit-on. Je me couche tranquille.

 

Le lendemain, le 13 août,

je prends mon fourbi, mon vélo et je rejoins le groupe en passant par Pècherie, Urbach, puis Saint-Jean d’Ormont où je laisse le vélo avec ceux des autres. Je monte à pied à La Fontenelle où je trouve mes camarades. Ils sont très contents de me voir arriver et je leur paie la goutte. A cet endroit de La Fontenelle, il n’y a pas une maison qui n’aie pas mal : tout est démoli, on couche dans les caves où il y a beaucoup de rats et de poux. On n’a pas chaud car on n’a guère de paille.

14 août 1915

On se lève vers 6h. A 7h, on repart travailler arranger un chemin. A 10h30, on mange la soupe puis le soir, repos. Dans la journée, quelques coups de canon. Le temps est toujours froid et pluvieux. A 8h30, nous partons travailler près des boches élargir et approfondir les boyaux faits par eux. Nous les leur avons pris à la dernière attaque et ils servent pour aller en première ligne. Tout le temps le projecteur et les fusées nous ont éclairés, même quelques coups de fusil et de canon ont été tirés. A 1h du matin, nous quittons le travail et retournons nous coucher.

Dimanche 15 août 1915

Nous restons couchés jusqu’à la soupe, après nettoyage et repos.

16 août 1915

Nous partons travailler à 6h aux tranchées, nous rentrons à 9h.  Après la soupe, repos complet. Le soir, violent bombardement de l’Aulnois par l’artillerie française et réponse des Boches sur La Fontenelle. 2 taubes viennent roder sur nous, ils sont violemment canonnés et prennent la fuite. A 8h, nous partons travailler aux boyaux jusqu’à 1h du matin. En remuant cette terre, nous trouvons des cadavres enterrés par le bombardement; ce qui nous affecte pendant le travail qui n’est pas des plus agréables.

17 août 1915

On se lève à la soupe, l’après-midi, nous travaillons de 1h à 3h à un abri poste téléphonique. Le soir, on se couche à la bonne heure.

18 août 1915

Le matin, on part à 6h, on revient du travail à 10h.  Après la soupe, repos. Le temps est toujours froid et couvert, journée calme. Le soir, à 8h, nous partons travailler jusqu’à 1h.

19 août 1915

On ne se lève qu’à la soupe. Le soir, vive canonnade, dans la nuit violente attaque des rats dans la cave. Ils nous passent dessus partout sur la figure, on est obligé de leur faire la chasse pour les mettre en fuite.

20 août 1915

Le matin, on va travailler à un abri pour placer un projecteur, on place des rails de chemin de fer. Le soir, on va poser les chevaux de frise puis travailler aux boyaux jusqu’à 1h.

21 août 1915

Repos, nettoyage le matin. L’après midi, travail aux boyaux, les boches crient “les chasseurs à nous, capout ! ”. Vers 3h, vive canonnade. Dans la nuit, coups de mines, de bombes et de torpilles.

Dimanche 22 août 1915

Nettoyage, repos, messe à 8h dans une maison démolie. Vers midi, on apprend qu’on est relevé le soir. On descend à Saint-Jean et on part pour Saint Dié. On y arrive à 10h du soir, on se couche tranquillement.

23 août 1915

On se lève à 8h, après douches, nettoyage et repos. Le soir, petite promenade en ville de 5h à 8h.

24 août 1915

Revue de machines et de fusils le matin. Le soir, revue de détails.

25 août 1915

Marche, exercices du côté de Saulcy, bonds en tirailleurs et charge à la baïonnette. Le soir, escrime et changement d’effets.

26 août 1915

On prend  la garde à l’entrée de Saint-Dié pendant 24 heures. On y passe une agréable journée. Le temps est très beau, un taube vient survoler la ville à une forte hauteur vers 11h.  La nuit se passe tranquille, nous sommes relevés à 7h le lendemain.

27 août 1915

Arrivée au cantonnement vers 8h, nettoyage. Après la soupe : exercices, théorie pour les brancardiers. Le soir, on apprend le départ du lendemain.

28 août 1915

Réveil 3h, départ 5h30. Tenue complète, adieu Saint-Dié. Nous passons par Saulcy et Rougiville. Après plusieurs montées, nous arrivons à La Chapelle, puis Laveline, Bruyères, Laval sur Vologne où nous faisons la pause. Nous mangeons la soupe puis enfin nous arrivons à Fays où nous cantonnons.

Dimanche  29 août 1915

On va à la messe à Laval sur Vologne vers 9h du matin. Le soir, repos. Le temps est pluvieux.

30 août 1915

Exercice, marche, départ 7h en passant par Bruyères, escrime à la baïonnette. Le soir, nettoyage, corvée de lavage, gymnastique et jeux.

31 août 1915

Marche, départ 7h du côté de Lépanges, Deycimont. Les trompettes ont joué souvent en route, retour 9h. Le soir, préparation pour embarquer à Bruyères. Vers 7h, nous quittons Fays. En arrivant à la gare, nous embarquons les vélos puis nous montons dans les wagons à bestiaux. Le train part vers 9h30, nous passons par Épinal. Arrivés en gare, nous trouvons un train de voyageurs et de soldat permissionnaires du front. Tout d’un coup, une grande détonation retentit : c’est un permissionnaire qui portait un obus d’auto canon calibre 37 mm  qui, en le faisant voir à ses camarades tout en le manipulant, éclatait dans le wagon entre ses mains et ses camarades. On entend des grands cris. Total 5 ou 6 blessés. Quelques minutes après, le train démarre. Nous arrivons à Dompaire, Mirecourt, Chatenois, Neufchateau.

1er septembre 1915

Domrémy, gonirecourt, st Joire, st Amand sur Meuse, Menaucourt, Chénevrière, Ligny en Barrois où nous débarquons vers 11h30. De là, nous passons sur la Place nationale où nous restons quelques minutes. Après, nous prenons la grande route de Paris – Strasbourg  par St Dizier. Arrivés hors de la ville, nous nous arrêtons à l’ombre, les cuisines roulantes arrivent et nous mangeons la soupe “subito presto”. Après ça, nous continuons notre route, nous passons à Mauban, Stainville, Aulnois-en-Perthois où restent un peloton ainsi que le bureau et les deux autres pelotons. Nous filons plus loin au premier hameau appelé la Houpette où nous cantonnons. En arrivant, nous mangeons la soupe et nous couchons de bonne heure car on était fatigués, étapes de 21 km.

2 septembre 1915

Le matin, nettoyage des armes et vélos. Le soir, travaux de propreté, repos. Pluie toute la journée.

3 septembre 1915

Départ 7h. Marche, nous passons Stainville puis St Dizier, nous faisons des exercices,  école de section, escrime, le soir repos, nettoyage, jeux divers.

4 Septembre 1915

Exercices en marche, départ 7h. Nous prenons la route de Senones, désignation des objectifs : marche en tirailleurs, différents feux puis l’ennemi en retraite, la poursuite. Le soir exercices et lancement de grenades.

Dimanche 5 septembre 1915

Même exercice que la veille. A 10h30, nous allons assister à la messe à l’Aulnois-en-Perthois. Le soir, distribution des sachets et lunettes contre les gaz asphyxiants puis théorie par le major.

6 septembre 1915

Marche de tout le groupe, départ 6h30. Les trompettes ont bien joué pendant la marche,  nous rentrons vers 9h. Le soir, revue des pièces de rechange et nettoyage du matériel.

7 septembre 1915

Exercice, marche départ 7h, route d’Ancerville. L’ennemi en retraite, la poursuite, marche en tirailleurs, on rentre à 9h. Le soir, revue de petites vivres et de cartouches, puis des toiles de tentes.

8 septembre 1915

Marche, départ 7h, on passe à Cousances, on revient par Stainville. Puis on a fait du tirailleur et on rentre à la Houpette à 9h. Le soir, montage des toiles de tentes.

9 septembre 1915

Réveil 5h, départ 5h30, tenue de campagne. Marche de tout le groupe, on passe à travers champs puis on arrive à Cousancelles. Après, on va se rassembler avec deux autres groupes cyclistes, le 15e et le 25e, où les trompettes ont bien joué. Après on rentre à 10h.  Le soir, corvée de lavage.

10 septembre 1915

Départ 7h, exercice de roulement. On passe par Haironville, route de Bar-le-Duc puis on revient par la route de Senones. Le soir, escrime à la baïonnette, théorie sur les objectifs et appréciation des distances.

11 septembre 1915.

Départ 7h, tenue, fusil et ceinturon. Nous allons sur la route de Senones. En arrivant, nous occupons le village de la Houpette. L’ennemi occupait la forêt, nous avons pour mission de défendre le village. A 9h, on pose le fusil et on part pour Aulnois en Perthois pour assister à un service dit par l’aumônier de la  division pour les officiers et soldats tombés au champ d’honneur à la prise de l’Aulnois. L’église était comble, l’aumônier a prononcé un beau sermon. Le soir, escrime et signaux.

Dimanche 12 septembre 1915

Marche de 15 km, on passe par Senones, puis on revient par Stainville, la Houpette. Le soir, revue de gaz asphyxiants, lunettes, plaque d’identité.

13 septembre 1915

Marche de roulement, on passe par Ancerville puis on revient par Senones. Le soir, exercice à pied.

14 septembre 1915

 Départ 7h. Marche et exercices vers Haironville, retour 9h. Le soir, jeux et revue d’effets manquants.

15 septembre 1915

Marche de roulement, on passe par Haironville, retour par Senones, exercices :  tirailleur et avant garde. Le soir, escrime et signaux.

16 septembre 1915

Marche de tout le groupe, départ 5h30. On passe à Aulnois puis par Stainville, le Bouchon, Juvigny, on rentre vers 9h . Le soir, revue d’armes et de vélos. 46 km.

17 septembre 1915

Corvée de lavage à Rupt-aux-Nonains. Le soir, escrime et tirailleurs.

18 septembre 1915

Marche 25 km, départ 7h. On passe par Haironville, Saurupt, Senones puis on revient par la Houpette, arrivée à 9h30. Le soir, nettoyage, jeux, football, barres. On a entendu le bruit sourd du canon sans cesse. Il passe beaucoup d’aéros et d’autos.

Dimanche 19 septembre 1915

Marche de roulement, on passe par Aulnois en Perthois et on revient par Haironville. A 10h, on va à la messe à Aulnois. Le soir, nettoyage et jeux divers. On entend bien le canon vers Saint-Michel.

20 septembre 1915

Réveil 6h, tenue de campagne complète. Revue à 10h, versement des ballots à 8h. A 10h, on mange la soupe et à 1h on part de la Houpette. On change de cantonnement, on va à Aulnois en Perthois. On cantonne tout le groupe ensemble au village. A 4h, revue de cantonnement, appel à 8h. Le soir, de 6h à 8h, grand bal joué par un bruleau.

21 septembre 1915

Rassemblement 7h, tenue d’exercices à pied. On va dans les champs faire l’école de section, tirailleur, escrime etc… jusqu’à 9h. Le soir, escrime et jeux, on nous donne les casques.

22 septembre 1915

Départ 6h30, tenue de campagne. On passe par Chamouilley, Cousances, Ancerville, la Houpette, puis on arrive à Aulnois en Perthois. Le soir, nettoyage, etc…

23 septembre 1915

Réveil 1h, départ 2h. Tenue de campagne complète. Nous quittons le pays, nous passons par Senones, puis plusieurs villages et nous arrivons dans la Marne. Nous allons prendre part à la grande offensive générale. Nous arrivons à Sermaize où nous trouvons des villages à moitié brûlés, des tombes, etc… Après Alliancelles, puis Bettancourt-la-Longue où nous cantonnons, vers 9h. A l’arrivée, on mange la soupe et puis après repos, nettoyage, étapes de 45 km.

24 septembre 1915

Réveil de nuit à 0h30, départ à 1h30. Nous passons par Somme-Yèvre, Varmont, Dampierre-le-Château, puis Rapsécourt où nous cantonnons vers 5h30, étape de 35 km. Le canon tonne toujours de plus en plus fort. On est deux pelotons dans la même ferme.

25 septembre 1915

Réveil de nuit à 0h30, départ 1h30. Nous quittons Rapsécourt, nous passons à Valmy puis nous allons près de Hans où nous restons dans un bois. Vers midi, nous partons vers le fortin de Beauséjour.  Nous descendons dans la vallée où nous trouvons d’autres régiments puis l’artillerie de tout calibre en action, des grosses pièces de 380 aussi. Ensuite, nous remontons un peu plus haut. Nous nous arrêtons au pied de la crète avec la cavalerie légère où nous formons les faisceaux. Nous avons même un blessé par une balle puis nous montons dans un abri car il pleuvait à torrents. La canonnade et la fusillade étaient toujours plus violentes. Vers 9h du soir, nous partons vers l’arrière. Nous revenons cantonner à Rapsécourt, nous y arrivons vers minuit et demi. Nous nous couchons aussitôt car nous étions bien fatigués, étapes de 25 km.

Dimanche 26 septembre 1915

Réveil 5h, nous touchons la distribution et nous partons aussitôt. Nous retournons presque où on était la veille dans un petit village appelé Somme-Tourbe à moitié démoli. Nous y restons toute la journée en attendant le moment de nous mettre en action. On entend toujours bien le canon. Il passe un convoi de 900 prisonniers. A la nuit, nous partons dans un bois près de Somme-Bionne où nous cantonnons dans des petits abris.

27 septembre 1915

Nous retournons à Somme-Tourbe où nous attendons des événements. Toute la journée, il passe des avions et des saucisses sont en observation. Le canon n’arrête pas, il passe toute la journée des camions automobiles transportant des troupes. Le soir, nous cantonnons dans des abris.

28 Septembre 1915

Nous entendons toujours le canon, le temps est un peu plus beau. Nous avons le temps de nettoyer notre fourbi. A 1h, nous partons de là. Nous allons vers l’arrière. Nous passons à Valmy  et nous allons cantonner dans un petit hameau appelé Herbéral sur la grande route de Sainte-Menehould. Nous arrivons vers 3h, nous avons nettoyage d’armes et de vélo. Le soir, nous touchons la distribution pour le lendemain. Sur notre route, tout le long, nous avons trouvé des camions transportant des troupes. On était obligé de s’arrêter souvent et de passer entre les autos et les fourgons de ravitaillement. Notre division passe en même temps.

29 septembre 1915

Réveil 5h, il tombe beaucoup de pluie. On avait l’ordre de partir à 7h, puis on ne part pas.  On mange la soupe à 9h et on reste au cantonnement. Toute la journée, il passe des troupes, plus de 1600 camions automobiles allant vers le front. Le canon gronde toujours, la nuit se passe tranquille.

30 septembre 1915

On se lève de bonne heure et on passe des revues de vivres et d’outils, etc… On apprend de bonnes nouvelles des opérations. Il passe 900 prisonniers, on reste encore au cantonnement.

1er octobre 1915

 Le matin à 8h, nous avons un petit exercice. Il passe 18 pièces d’artillerie allemande. Le soir, changement d’effets. Le temps est froid et pluvieux. Promenade au monument de Valmy.

Voir les carnets de Fédéric B qui est au même endroit à ce moment là.

2 octobre 1915

Réveil 6h30, départ 7h. Exercice de roulement vers Sainte-Menehould. Nous passons à Dommartin-la-Planchette. Puis, après une petite pause, théorie pour quand on prend des pièces d’artillerie à l’ennemi : la première des choses, il faut enlever la culasse, etc… Le soir, nettoyage et petits exercices.

Dimanche  3 octobre 1915

Marche de roulement, nous passons à Mazagan, puis La Chapelle, Gizaucourt. Cantonnement à Herbeval. A 10h, messe dans le cantonnement dite par un sous-officier du 11e hussard. Le soir, corvée de lavage.

(photo: Un prêtre célèbre la messe front de Champagne – Collection Odette Carrez)

4 octobre 1915

Réveil 6h, départ 7h. En vélo, on passe par Mazagan où l’on voit un camp de prisonniers boches, le parc d’aviation à notre droite aussi. Puis on va jusqu’au village à moitié brûlé de l’année dernière. En revenant, petit exercice. Le soir, nettoyage et jeux.

5 octobre 1915

Marche de roulement. Départ 7h, on revient près de Auve. Le soir, nettoyage et escrime, jeux.

6 octobre 1915

Réveil 5h, tenue, départ 6h30 puis on mange la soupe à 8h30. On entend toujours bien le roulement du canon. Le bombardement a commencé hier soir à 3h; sa durée est de 70 heures. Puis après, on prend l’ouvrage de la Défaite (“point fortifié”). Nous restons encore au cantonnement. Le soir, jeux.

7 Octobre 1915

En se levant, on prépare son paquetage puis on fait un peu d’escrime et jeux. Le soir, corvée de lavage du côté de Voilemont en tenue de campagne. On apprend que l’ouvrage de la Défaite a été pris mais les boches font une contre-attaque et le reprennent.

8 octobre 1915

Exercice de roulement du côté de Valmy. En arrivant, nettoyage du cantonnement. On touche un casse-croûte et 2 quarts de vin, on part à 2h. Nous quittons Herbéval. On passe Valmy, puis Hans et nous allons sur notre petit coteau où nous nous installons. Nous montons les toiles de tentes et nous nous couchons. Le 8e et 9e groupe ont couché à côté de nous.

9 octobre 1915

On se lève de bonne heure, on prépare son paquetage : on le roule en fer à cheval et on attend des ordres. Nos officiers vont reconnaître les tranchées que nous devons aller occuper à 4h. Nous mangeons la soupe à 6h. On part en laissant les vélos. Après avoir marché 2 heures de temps, nous tombons dans un petit patelin tout démoli appelé Virginy.  Nous le dépassons et nous allons nous installer : la moitié du groupe en deuxième ligne et l’autre moitié en première ligne, relever des coloniaux. Nous restons là 48 heures, après on va relever les autres en première ligne.

Dimanche 10 octobre 1915

Le canon ne cesse de tirer jour et nuit. Nous nous trouvons dans un secteur pas bien tranquille. Pendant la journée, un grand nombre d’avions vient évoluer au-dessus de nous et ils sont très violemment canonnés par les Allemands. Nous nous trouvons là près de Ville-sur-Tourbe. Nous allons occuper les tranchées sur la crête de Massiges, à droite de Beausejour. Notre ravitaillement reste à Virginy. Dans la nuit, nous allons en corvée le chercher. Le soir, nous mangeons la soupe dans nos gourbis et nous partons en première ligne relever les autres. La nuit se passe mais pas avec calme : les boches envoient à tout moment des fusées lumineuses puis il y a un canon revolver qui nous tire dessus, rasant la tranchée et qui nous fait plusieurs morts et blessés en peu de temps. Dans la tranchée que nous occupons, il y a encore de beaux abris. Il y en a même qui sont écroulés par le dernier bombardement où il y a des boches ensevelis. l y en a partout, de tous les côtés, qui ne sont pas enterrés donc ça ne sent pas très bon. Un moment donné, nous recevons l’ordre de préparer les masques contre les gaz asphyxiants puis après ça passe. Dans la nuit, on nous ravitaille bien. C’était le 11 octobre 1915.

12 octobre 1915

La nuit se passe encore bien mais le calme n’es pas venu dans les tranchées. Nous voyons la grande plaine de Vouziers, au pied d’un coteau appelé la Chenille. La nuit, c’est le plus terrible : on se voit tout feu. Il y a des moments où ça barde plus la nuit que le jour. Nous apprenons encore de nouveaux morts et blessés. Le soir, nous sommes relevés et nous retournons dans nos cagnas en deuxième ligne le 13 octobre 1915.

14 octobre 1915

A 5h du matin, nous descendons à Virginy chercher le ravitaillement. A 10h, nous mangeons la soupe, après on se nettoie un peu. Le temps est devenu beau, un grand nombre d’aéros nous survolent. Il y a toujours grand duel d’artillerie. Nous apprenons que notre ravitaillement a été atteint par un obus qui a tué deux chevaux et les conducteurs n’ont pas de mal.

15 octobre 1915

Nous nous levons sans avoir bien roupillé. On va à la corvée puis on creuse encore notre cagna. Nous touchons notre distribution et nous partons à la nuit relever les autres en première ligne. Nous trouvons les brancardiers portant des morts depuis plusieurs jours.

16 octobre 1915

Nous partons à 6h30 relever les autres en première ligne et aux postes d’écoute où il y avait des dragons de notre division. Nous nous trouvons cette fois plus près des boches. Nous travaillons pendant 2h puis après on prend la faction toutes les deux heures. On gelait de froid, vers le matin on nous apporte le café, pain et viande. Dans la journée, le temps devient beau. Nous voyons bien des torpilles que nous envoient les boches : elles montent droites puis elles retombent de même en explosant à l’arrivée à terre avec une forte détonation. Il vient ensuite des officiers des coloniaux voir les tranchées et nous apprenons que nous devons être relevés le soir par eux. On leur laisse la place volontiers. A 7h du soir, on nous apporte à manger. Puis vers 11h, le 7e colonial nous relève. Ils prennent nos postes et nous descendons à Virginy. Après plusieurs montées et descentes, nous trouvons nos vélos. Nous montons le paquetage et nous partons aussitôt cantonner dans un petit village à 4 km appelé Maffrécourt. Nous y arrivons vers 2h du matin. Nous nous couchons aussitôt car nous étions bien fatigués, étapes de 15 km.

Dimanche 17 octobre 1915

On ne se lève pas de bonne heure. Nous nettoyons nos effets et nos armes. Après la soupe, nous partons à Ste Menehould. Nous allons prendre une grande douche aux casernes et nous rentrons vers 5h.

18 octobre 1915

Nettoyage, revue de petites vivres. Le soir, petit concert organisé par nos chanteurs dans une salle où l’on avait allumé un bon feu et nous apprenons le départ du lendemain.

19 octobre 1915

Réveil 3h, départ 4h. Nous quittons Maffrécourt. Nous passons à Ste Menehould. Nous prenons la grande route de Vitry le François et nous arrivons à Possesse où nous cantonnons. Le soir, nettoyage. Nous y arrivons vers 11h après avoir fait 38 km.

20 Octobre 1915

Réveil 6h, départ 7h30. Nous prenons toujours la grande route de Vitry. Nous passons à Heiltz-le-Maurupt, puis Thiéblemont et nous arrivons dans la Haute-Marne. Nous trouvons un monument où s’était tué un aviateur et nous passons le canal de la Marne. Nous arrivons à Perthes, petit village où nous cantonnons vers 11h. Le soir, nettoyage et jeux.

21 octobre 1915

36 km.

22 octobre 1915

Exercices à pied à 7h30 aux environs du patelin, escrime, gymnastique suédoise, pas de gymnastique. A 10h, revue de cantonnement. Le soir, corvée de lavage au canal. Il passe un dirigeable à deux hélices à une faible hauteur.

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Depuis le premier jour de cet effroyable guerre, notre armement a bien changé. Nous sommes bien mieux organisés qu’au début. Ce que nous voyons de plus à présent, ce sont ces grosses pièces d’artillerie, ces tracteurs automobiles pour les amener vite,  ces trains blindés, ces autos-canons, ces autos mitrailleuses, ces autos projecteurs, ces autos ambulances, ces autos de ravitaillement qui transportent des troupes et des munitions, ces autobus parisiens transportant la viande fraîche, ces cuisines roulantes, ces téléphones, télégraphes sans fils et ces ballons et ballonnets tenus par les autos qui se déplacent à volonté, toute ces sections de mitrailleuses et tant d’escadrilles d’aéroplanes nouveau modèle à deux moteurs et deux hélices, ces avions canons, ces avions mitrailleurs, ces avions de chasse, tout ça on ne le voyait guère au début. Tout est bien organisé et tout marche bien, chacun a son poste.

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23 octobre 1915

Exercices à pied, départ 7h30. Service d’éclaireur, patrouille et escrime à la baïonnette. On rentre à 9h. Le soir, on rend les paquets de gaz asphyxiants et un jour de vivres de réserve.  Revue d’effets et de souliers. Nous faisons partir tous les pétards, on ramasse 70 cartouches.

Dimanche 24 octobre 1915

Marche de roulement, départ 7h. On passe à Villers où nous trouvons la section des boulangers avec les voitures à four puis nous rentrons à 9h. A 10h, messe. Le soir, repos complet, promenade au canal.

 25 octobre 1915

Départ de Perthes, réveil 5h départ 5h30. Nous passons à St-Dizier, ville assez importante,  dans la rue de la République où nous voyons la place et la statue de Jeanne d’Arc, puis l’avenue Gambetta et l’avenue Alsace-Lorraine. Nos trompettes ont bien joué dans la ville. Après, nous faisons une petite pause et nous arrivons dans la Meuse. Nous passons à Ancerville, puis la Houpette et nous allons cantonner à Cousancelles, petit village où nous arrivons vers 10h. A 11h, mangeons la soupe, après nettoyage, rapport. A 3h15, concert par des trompettes, étape de 28 km.

26 octobre 1915

Réveil 5h15, départ 6h40. Nous passons à Cousances, puis nous montons à Savonnière,  après nous arrivons à Juvigny, puis Dammarie, après Morlay, puis Couverpuits, Biencourt. Après, nous trouvons une grande montée et une grande forêt et après nous arrivons à Houdelaincourt, village assez important où nous cantonnons près de la ligne de chemin de fer et du canal, étape de 43 km. Nous mangeons la soupe à 1h30 le soir, nettoyage. Le temps était froid et couvert. (voir en 6ème page ?)

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Gabriel explique ses trajets en détail, toutes les endroit ou il passe sont marqués.

Refrain 107eme chasseurs à pied.

Encore un carreau cassé

voilà le vitrier qui passe

encore un carreau cassé

voilà le vitrier passé

Cassons les carreaux, démontons les croisées (Bis)

voilà les vitriers qui passent

voilà le vitrier passé

vive les chasseurs à pied et les vitriers, ho, hé.

Fête du 1er novembre 1915 Toussaint

En ce jour de commémorations douloureuses, la France doit célébrer sa résurrection.  Aujourd’hui, la France et ses alliés fêtent leurs morts héroïques. Partout coulent les larmes de l’amour, partout l’encens des prières monte aux voûtes des églises. Dans tous les sanctuaires brillent les flambeaux de la foi et pour que ce jour de rogation funèbre soit aussi pour nous un jour de réconfort et d’espérance, il faut que nous comprenions la leçon qui se dégage avec une impérieuse fulguration de cette guerre terrible. Au-dessus de l’effroyable carnage qui dure encore, 3 faits lumineux se dressent, ils font l’admiration du monde : la résurrection de la France, celui des peuples opprimés et celle de l’âme humaine qui prend un nouvel essor.

Dans la tourmente furieuse, parmi les peuples opprimés et celle de l’âme humaine, que d’exemples poignants et magnifiques. Je devrais choisir la Belgique ou la Serbie qui depuis 14 mois nous confondent par leur héroïsme, mais français de naissance, je songe d’abord à mon pays. Il faut dire aussi que beaucoup d’Alsaciens, au moment de la mobilisation, franchirent les Vosges pour se battre sous leur drapeau. Je sais combien d’eux sont tombés sur le champ de bataille, mais certes que pas un d’eux ne se plaint de son sort. Ils savent tous qu’il se battent pour leur pays, comme pour la France et pour la liberté du monde.  Quant aux Alsaciens restés prisonniers chez eux entre les fils de fer barbelé et les fusils prussiens, ils entendent gronder le canon sur les Vosges et cela leur suffit : ils ont réalisé leurs plus beaux rêves de leur existence. L’Italie a mis un demi-siècle. A son tour, après un demi-siècle de léthargie, la France se ressaisit en 24 heures et depuis des jours glorieux de la Marne jusqu’au dernier départ de nos troupes pour la Serbie, quel élan, quelle patience, quelle gaieté, jusque dans les plus cruels épreuves. Voilà 15 mois que cela dure et son courage ne fait que grandir. Elle sait que l’humanité la regarde et attend sa délivrance de sa foi et de sa constance. Dans le cyclone des peuples révoltés contre le monstre teuton, il se forme parfois une éclaircie comme l’oeil de la tempête et alors les peuples se dressent à l’horizon. Ils disent : “ ne désespère pas de toi, ô France, toi qui nous a réveillés. Nous nous serrons jusqu’au bout car nous sommes les sœurs et tu es là, Jeanne d’Arc des nations”.  C’est en ce jour que l’on doit couronner de fleurs nos tombeaux de nos morts ou de nos frères, combattants invincibles quand ils vont braver le martyr de la mort. C’est la révélation suprême de leur conscience profonde, le cri de leur être éternel !

Avec ce cordial, il tombe joyeux et meurt en paix !

Fait à Lunéville, le 1er Novembre 1915.

A Jeanne d’Arc à toi notre amour

va de nouveau prendre ta  place

au fond des régiments

et au fond de l’Alsace

jusqu’au dernier des Allemands.

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27 octobre 1915

Pas de réveil, on reste au cantonnement. On touche les ballots. Après la soupe, corvée de lavage et à 3h, revue de tout le matériel. Toute la nuit et la journée, nous voyons passer les trains chargés de troupes venant du front, descendant vers un autre côté, en partie des chasseurs alpins.

28 octobre 1915

Exercices à 7h30. Disposition de combat, tirailleurs, course à pied, jeux, escrime et charge à la baïonnette aux alentours de Houdelaincourt. On rentre à 9h. Le soir, jeux à 3h aux barres.

29 octobre 1915

Réveil 5h, départ 6h.  Nous passons à Abainville puis dans la ville de Gondrecourt, après un petit village ,Amanty, puis nous allons cantonner à Barry-la-Côte dans les Vosges.  Le soir, jeux et nettoyage, étape de 30 km.

30 octobre 1915

Réveil 5, départ 6h. Nous passons un village appelé Autreville, puis deux autres, Ruppes et Battigny dans la Meurthe et Moselle. Nous allons cantonner dans un petit village appelé Chaouilley : de là, nous voyons le coteau et la Vierge de Sion. Le soir, nettoyage et jeux,  étape de 28 km.

Dimanche 31 octobre 1915

Réveil 5h, départ 6h. Nous passons à Praye, puis nous arrivons à Bayon, assez joli village. Arrivée vers 9h, étape de 28 km. Le soir, nettoyage. A 3h, remise et décoration du nouveau fanion par le général qui prononce un beau discours. Les trompettes ont bien joué.

1er novembre 1915

 Réveil 5h, départ 6h30. Nous prenons la grande route de Lunéville et nous y allons cantonner dans les casernes du 18e chasseur à cheval. Nous y arrivons vers 9h30, étape de 26 km. Sur notre route, nous avons vu beaucoup de tombes et des maisons brûlées, des ponts détruits, etc… Notre artillerie et les marins cantonnent avec nous, avec leurs autos canon et mitrailleuses. Le soir, nettoyage, corvée de lavage. On peut sortir en ville de 5h à 8h.

2 novembre 1915

Nous avons couché sur le bitume sans paille. On se lève vers 6h30. A 8h, gymnastique, le soir, jeux. Temps pluvieux, messe à 10h par l’aumônier.

3 novembre 1915.

Exercices à 7h30, tirailleurs sur le Champ de Mars, jeux de barres. Le soir, douche, préparation pour partir aux tranchées.

4 novembre 1915

Gymnastique à 8h sur le Champ de Mars. A 10h, rapport. On remplace les sachets contre les gaz asphyxiants, coupe de cheveux. Le soir, jeux.

5 novembre 1915

Réveil 6h, nous préparons notre paquetage,  puis nous mettons la paille en botte. Nous nettoyons le cantonnement et les abords à 9h en mangeant la soupe. A 11h, nous quittons les casernes de Lunéville. Nous passons dans un village à moitié brûlé appelé Croismare,  puis nous montons une côte et enfin nous atteignons un autre petit patelin appelé Sionviller. Nous cantonnons là dans une grande grange presque sans paille avec des territoriaux 60eme ?

6 novembre 1915

On ne se lève pas de bonne heure, il n’y a rien que de normal. Le temps est couvert et froid, nous restons au cantonnement. Presque tous les soirs, nous voyons partir un ballon où il n’y a personne dedans et quand il arrive sur les lignes boches, ils lui tirent beaucoup dessus. C’est ainsi que nos observateurs étant dans une saucisse pendant leurs tirs, peuvent repérer les batteries ennemies : tout cela est fait exprès !

Dimanche 7 novembre 1915

On va à la messe à 9h. A 10h30 la soupe. Le soir, échange d’effets, jeux, rapport à 3h30.

 8 novembre 1915

Réveil 6h30, exercices à pied. A 8h, escrime à la baïonnette, exercice de tir dans une tranchée. Le soir, jeux à barres, pique q’U et de football association.

9 novembre 1915

Réveil 6h30, exercices à 8h, escrime après nettoyage d’effets. Le soir, nettoyage d’armes,  de vélo et casernements puis jeux. Deux taubes viennent survoler notre patelin, ils sont bien canonnés !

 10 novembre 1915

Exercices à 7h30, escrime à la baïonnette, nettoyage du cantonnement. Le soir, jeux de barres.

11 novembre 1915

Nettoyage du cantonnement et les abords, temps pluvieux. Le soir, jeux ; on touche le gros prêt, cinq sous par jour.

12 novembre 1915

Nettoyage des armes et vélos, revue des vivres de réserve, des pièces de rechange et de cartouches empaquetées.

13 novembre 1915

Temps pluvieux. Toute la journée, installation du cantonnement.

Dimanche 14 novembre 1915

Le temps est toujours pluvieux, on va assister à la messe à 9h. L’après-midi, rien que de normal. Nous prenons la garde au poste de police.

15 novembre

Nous sommes de garde jusqu’à midi, le réveil est à 4h. A 5h, la moitié du groupe part aux tranchées : le 3e peloton et la moitié du premier vont relever les territoriaux dans la forêt de Parroy. Il tombe de la neige, le temps est très froid.

16 novembre 1915

Nous partons à 7h30 en corvée de bois dans la forêt de Parroy. La terre est recouverte de neige. L’après-midi, nous nettoyons l’intérieur et le dehors du cantonnement.

17 novembre 1915

Il tombe de la neige. Toute la matinée, nous portons des pierres devant le cantonnement. Le soir,  graissage des machines.

18 novembre 1915

Le matin, continuation du nettoyage. A 1h, nous partons pour Lunéville prendre des douches. Nous passons par Jolivet, nous revenons par Croismare. Nous traversons un champ, nous sommes obligés de mettre la machine sur les épaules.

19 novembre 1915

Le matin, il nous arrive un convoi de dragons venant nous remplacer. Cela fait qu’on fait  partir un détachement de chasseurs, environ 90 : 1er départ.

20 novembre 1915

Ceux qui étaient aux tranchées sont relevés. Ils viennent pour la soupe du matin. Dans l’après-midi, nous prêtons nos équipements aux dragons (4 et 12e)

Dimanche 21 novembre 1915

On va à la messe à 9h et ceux qui le veulent y vont l’après-midi. Le temps est beau, nous faisons des jeux !

22 novembre 1915

Exercice à 7h, escrime et jeux. Le soir, on prend la garde.

23 novembre 1915

Le matin, on a revue d’armes. Le temps est très mauvais, le brouillard est épais. On organise un jeu de football.

24 novembre 1915

Exercice, école de section, pas de gymnastique, différents jeux, revue de cartouches empaquetées.

25 novembre 1915

Le matin, jeu de football. L’après midi, on va aux douches à Lunéville puis au tir où nos remplaçants, les dragons, tirent. C’est là que nous apprenons que notre capitaine est tombé de cheval : blessé légèrement à la tête, il est évacué.

26 novembre 1915

Nettoyage au cantonnement et jeu de football. Il y a beaucoup de neige. Le soir, nous organisons un concert : une belle soirée qu’on passe à entendre chanter, où il y avait nos officiers représentés avec leurs boniches, etc…

27 novembre 1915

Rien à signaler. Le soir, il part un autre détachement avec, en partie, mes meilleurs copains (90) .

Dimanche 28 novembre 1915

Affectation des dragons dans les escouades. Il est tombé beaucoup de neige. Il a gelé bien fort : le pain et le vin ont gelé.

29 novembre 1915

Réveil 5h, départ  5h40 aux tranchée dans la forêt de Parroy. Nous relevons les territoriaux.  Avec mon escouade, nous allons occuper le poste numéro 2. Notre secteur comprend 5 postes et la grande garde. La journée est calme, la neige fond. Le soir, il pleut.

30 novembre 1915

La nuit se passe tranquille. Nous prenons environ 4 heures de garde dans la nuit et autant le jour. Il faut trois sentinelles le jour et elles sont doublées la nuit. Les postes d’écoute sont dans les réseaux de fils de fer. Après qu’on ait pris sa faction, on va au poste où il y a les autres : on allume un bon feu et on nous apporte des marrons qu’on fait bien cuire. Chaque poste a son téléphone.

1er décembre 1915

Le matin, on voit passer les sangliers, mais au loin, les boches nous tirent quelques obus pas loin de notre poste. Journée très pluvieuse.

2 décembre 1915

Le matin, on est relevé par une autre escouade. Nous allons à la grande garde pendant le jour. A la nuit, on va renforcer, on prend la garde. On occupe un poste d’écoute.

3 décembre 1915

A 6h, nous quittons le poste et nous allons à la grande garde, puis nous partons ravitailler les autres. Le soir, on revient au poste d’écoute dans la nuit vers 11h. On voit lancer des fusées éclairantes puis quelques coups de feux de salves sont tirés. Ensuite, on voit une patrouille boche qui s’avançait vers notre réseau de fils de fer. Elle fait bien demi-tour en vitesse mais l’alerte est donnée au poste aux coups de sifflet répétés. Le restant de la nuit, rien à signaler.

4 décembre 1915

A 6h, nous quittons le poste et allons à la grande garde. Le temps est toujours pluvieux. On est obligé de sortir l’eau de la cagna  avec une boîte car on est inondé ! On racle la boue du chemin pour se rendre au poste d’écoute. Quelques coups de canon sont tirés par nous sur les postes allemands. Vers 3h, on nous téléphone de nous équiper et de partir de suite au poste. Nous trouvons l’auto de ravitaillement et elle nous porte à Sionviller.

Dimanche 5 décembre, 6, 7 décembre 1915

On rend tous nos effets et on se prépare à partir à 10h30. Nous quittons le groupe alors pour de bon. Arrivée à Lunéville, nous touchons des vivres pour le voyage. Nous nous embarquons à midi. Nous passons par Blainville, où nous changeons de train, puis nous passons Gerbéviller, Bayon, Charmes, Mirecourt, Epinal. Nous avons 2 heures d’arrêt. Nous sortons en ville. Après, nous descendons à Belfort, puis Héricourt et Montbéliard, Besançon où nous débarquons. Là, nous attendons des ordres. On nous envoie dans un cantonnement, c’était un ancien bal. Nous sortons en ville, on dîne bien : on se balade jusqu’au soir et on part à 10h30 de la gare de Viotté pour Belfort, puis de là on nous envoie à Montbéliard. Nous arrivons juste quand le réveil sonnait. Nous entrons dans un grand château. Nous trouvons là les camarades du 107ème (Chapin ?) qui sont très heureux de nous voir arriver. On attend son poste : après quelques instants, on nous présente au commandement et on nous affecte par compagnie. On nous fait l’inventaire de nos effets. Le soir, on a des travaux de propreté de 5h à 8h30. On sort en ville; à la rentrée, on passe une belle soirée. Plusieurs chantent dans la chambre.

8 décembre 1915

Le matin, on va à la corvée de tir. Le temps est pluvieux. Le soir, visite d’incorporation, puis théorie sur les services et consignes, etc…

9 décembre 1915

Réveil 6h30, départ 7h20, on va au tir. On traverse la ville au pas cadencé. Le soir, travaux de couture.

10 décembre 1915

Le temps est pluvieux, il n’y a pas de marche, théorie, nettoyage des armes. Le soir, travaux de propreté, revue de casernement.

11 décembre 1915

 Douche à 8h, on va au fond de la ville dans une usine. Le soir, travaux de couture, lecture :   comment sont traités nos prisonniers en Allemagne. Le soir, on va à la salle Tivoli, salle de lecture. A 7h, grande retraite aux flambeaux par notre fanfare du 107e dans la ville où il y avait beaucoup de monde.

Dimanche 12 décembre 1915

Le matin, quartier consigné. De même le soir, on est de piquet d’incendie à la compagnie. A 10h, nous passons la revue d’armes et de casernement.

13 décembre 1915

Exercices à 7h30 aux abords de la ville. On fait l’exercice sur la route car dans le pré c’était couvert de neige. Ecole de section, escrime; on rentre à 9h30 au château. L’après-midi, on prend des pelles, pioches : on va faire des tranchées de campagne puis essai lentement des grenades, en présence de tout le bataillon et du commandant.

14 décembre 1915

Nous passons une revue de détail à 9h de tous les effets. On touche un sac, un fusil.  L’après-midi, on va faire l’exercice sur le coteau qui domine Montbéliard : du tirailleur, marche sous le feu d’artillerie, etc…, escrime. On prend pour la première fois le sac avec la couverture roulée. De 6h à 8h, on passe son temps à la salle Tivoli à lire et à écrire.

15 décembre 1915

Changement d’effets, le matin. A midi, on part au tir, puis on rentre, nettoyage des armes.

16 décembre 1915

Le matin, réveil comme à l’habitude, on se prépare pour la marche. Nous partons à midi tout le bataillon. Chaque compagnie emporte son fanion, la fanfare joue en traversant la ville.  Puis, à la sortie, le commandant nous fait placer dans un pré où il décore 2 chasseurs de la croix de guerre. Une fois terminé, on repart. Nous passons à Sochaux, joli petit village où il y a beaucoup d’usines. La fanfare joue en traversant tous les villages que nous trouvons sur notre route. Toutes les heures, nous avons 10mn de pause. Nous passons à  Vieux-Charmont. Nous trouvons ensuite la borne indiquant la frontière du Haut Rhin et du Doubs. Après, nous arrivons à Charmont, village assez important où nous défilons devant le colonel. Après, nous faisons la pause et nous faisons demi-tour : nous revenons presque par le même chemin en passant au fort de Ghaux. Nous arrivons à 5h, étape de 22 km, sac allégé.

17 décembre 1915

On va prendre des douches à 8h dans une usine. Le soir, travaux de couture et nettoyage.  A 7h, grande retraite dans la ville.

18 décembre 1915

Le matin, on confectionne chacun un couvre culasse et couvre canon pour le fusil; après, quartier libre. À 3h, musique sur la place, à 6h grand concert dans la salle Tivoli organisé par le 107ème. La salle est comble de civils et de militaires où on passe une très belle soirée.

Dimanche 19 décembre 1915

On prend la garde à l’entrée du château pendant 24 heures. Dans la nuit, le canon gronde fort vers l’Alsace, il tombe de la neige.

20 décembre 1915

On est relevé de garde à 7h puis on va au tir. Le soir, travaux de propreté

21 décembre 1915

Théorie à 8h, exercices dans les chambres. Il pleut, il tombe de la neige. L’après-midi de même, théorie par le lieutenant commandant de compagnie.

22 décembre 1915

Réveil 5h, départ 5h30. Tenue de campagne, sac pour les grandes manœuvres de brigade. On emporte un repas froid, les cuisines roulantes suivent. Nous passons par Sochaux, puis nous traversons beaucoup de villages et de grands bois. Nous posons le sac et nous partons aussitôt dans la plaine. Au bout de la côte, nous nous plaçons à gauche du 32e alpin. Nous prenons plusieurs formations et nous partons pour l’attaque en formation de vannes. Nous passons la première ligne, puis la deuxième, puis nous prenons le fortin, la ligne de chemin de fer puis le village appelé “?”. Alors là, la manœuvre est terminée. Les clairons sonnent le rassemblement, ce qui nous a fait plus plaisir que la charge. Nous sommes tous couverts de boue et de sueur, tous mouillés de pluie car elle n’a cessé de tomber sur nos dos. Nous rentrons au patelin où nous avions le sac, c’était 2h. Nous mangeons la soupe et nous repartons à Montbéliard tout en chantant. Nous arrivons à 5h,  belle étape de 38 km.

23 et 24 décembre 1915

Réveil 6h, on nous rassemble à 7h. On nous donne des pelles et des pioches, et nous allons boucher des tranchées sur le coteau. Nous recevons à manger la soupe puis nous repartons et nous finissons les travaux le soir. De 6h à 8h, nous avons un petit concert à la salle Tivoli organisé par un monsieur et une dame de passage qui nous amusent un bon moment en nous chantant quelques petites chansonnettes accompagnées du piano.

25 décembre 1915

On a revue de casernement à 9h. Après la soupe, quartier libre. Comme ordinaire on touche ¾ de vin, 2 biscuits, 2 cigarettes et mouton avec fayots. Le soir, on apprend le départ du lendemain.

Dimanche 26 décembre 1915

Réveil 5h, nettoyage du casernement, préparatifs de départ et rassemblement à 9h, tenue complète. Nous passons à Sochaux, Audincourt, Hérimoncourt et nous cantonnons deux compagnies à Meslières et les deux autres à Glay. On est bien accueilli par la population et bien cantonnés. Nous cantonnons dans des chambres très propres, étape de 22 km. On en avait marre car il pleuvait pendant la marche.

27 décembre 1915

Réveil 6h, départ 6h30, sans sacs. Nous passons Glay, on nous donne des outils et nous allons couper de beaux frênes pour faire de jolis piquet pour fortifier la frontière près de la Suisse, car nous en sommes près à 500m. Dans la journée, on va même chercher du tabac dans la première maison suisse qui est près de nous mais c’est très défendu. La frontière est marquée par des petits drapeaux espacés, les douaniers surveillent tout le temps.

28 décembre 1915

Même heure de départ. On nous fait prendre un gros paquet de fils de fer qui pèse 40 kg. Nous le portons depuis en bas sur le haut du coteau à 900 mètres d’altitude, à plus de 3 km. Puis après ça, nous transportons des piquets. Le soir de même, on commence à placer des fils de fer.

29 décembre 1915

Nous allons directement couper du bois, puis on fait une très belle journée où on mouille la chemise dans ces hautes montagnes, ce qui est très pénible.  

30 décembre 1915

Départ 6h30, nous allons couper de Beaux vergnes près de la route de Meslières. Toute la journée, nous faisons beaucoup de piquets. La journée n’est pas pénible, nous allons manger la soupe au village à 10h, départ midi.

31 décembre 1915

Réveil 5h45, départ 6h30. Nous retournons au même chantier : nous faisons plus de 300 piquets. Le soir, on termine. Dans la journée, il passe des convois d’artillerie portant des munitions, etc…  Le temps est toujours très beau, doux !

Fin du livre

voir le suivant 1916

fait à Meslières (Doubs, 2 km de la Suisse)

tous droits réservés,

fait par l’auteur,

Gabriel Bouffies.

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